Photos Philippe Pilibossian (2018)
"LES ARMENIENS" UN VILLAGE D'AUVERGNE
Le
hameau "Les Arméniens" et, à proximité, son moulin sur le cours du
ruisseau de Chazelles, sont sortis de l'anonymat au lendemain du
tremblement de terre en Arménie, le 7 décembre 1988, lorsque le grand
quotidien local "La Montagne" rappela à l'opinion leur existence et...
tout le mystère entourant leur passé.
Vue du hameau Sur la
départementale 103, qui coupe la D 528 reliant Espinasse à
Bussières-près-Pionsat, l'indication du Moulin des Arméniens ne peut
échapper à la vue de l'automobiliste. En empruntant sur la droite une
autre route - qui semble sans issue - on découvre le hameau des
Arméniens, un kilomètre plus loin, qui domine un paysage typiquement
auvergnat, où il fait bon y vivre. Situé a plus de 600 m d'altitude, ce
bourg n abrite en fait que trois familles, présentes depuis plusieurs
générations et, par ailleurs, particulièrement accueillantes. Que ce
soit la famille Dubosclard. dans la première ferme en arrivant dans le
hameau, Camus, la seconde qui s est développée par une activité annexe
(une scierie) ou encore Pascanet, aujourd'hui retraitée, aucune n'a en
mémoire la présence d'Arméniens ici-même, malgré leur installation
depuis au moins deux siècles. Personne se dénommant Desarméniens, nom
pourtant très répandu dans le département, n'y a habité depuis le XIXe
siècle. De l'histoire des Arméniens d'Auvergne, il ne subsiste que le
nom d'un hameau, dont la création remonte à plusieurs siècles. Pourtant,
les documents font défaut. Ils auraient disparu, dispersés ou détruits
lors de la révolution de 1789. Seuls quelques témoignages semblent
apporter certaines indications. Mais tout ceci demeure flou et
mystérieux.
Bussières au départ Desarméniens
Rattaché
administrativement à la commune de Bussières-près-Pionsat, le hameau
"Les Arméniens" a été sans aucun doute à l'origine de tous ceux qui
portent aujourd'hui le nom de Desarméniens que l'on retrouve encore
beaucoup dans le Puy-de-Dôme, dans les départements voisins et parfois
dans le sud-ouest de la France. Mme Madeleine Gayon, ancienne
institutrice à Saint-Marcel-en-Marcillat et historienne par la force des
choses (elle étudie avec une patience exceptionnelle son arbre
généalogique grâce auquel elle a relevé plusieurs Desarméniens aux
XVII-XVIIIe siècles, dont l'un, Pierre Desarméniens fut curé de
Fontanières, dans la Creuse, selon un acte daté du 10 septembre 1724)
essaie d'expliquer la venue des premiers Arméniens 6 ou 7 siècles plus
tôt. (1) II semblerait que le seigneur du Château de Rochedragon - Roche
d'Agoux, en langue d'oc - non loin de Bussières, ait emmené avec lui,
de retour de Croisade à la fin du XIIIe siècle, un groupe d'Arméniens
afin de pouvoir utiliser leur savoir-faire dans le domaine de la
filature et du tissage en particulier. Il les aurait installés dans un
hameau abandonné depuis plusieurs années, pour cause d'épidémie. Aux
nouveaux arrivants alors de défricher ces anciennes habitations et à
faire fonctionner un moulin, plus bas. afin de subvenir à leurs besoins.
(2) Selon l'arménologue FrédéricMacler, « c’étaient, peut-être, des
négociants arméniens qui fondèrent un village. Ce que l'on sait, c'est
que Marie de Lestrange, femme de Louis de Chazeron, vendit le château de
Peyrudette, dans la Creuse, le 7 février 1786 à M. Bittard des
Arméniens des Portes. Le fief des Arméniens, dont la famille Bittard
avait pris le nom, était situé sur la commune de Bussières". (3)
D'ailleurs, ne voit-on pas dans l'ancien cimetière de celle-ci la tombe
de Bittard à côté de celle d'un Desarménien ? Significatif ! Haïg
Berbérian va plus loin en reprenant à travers les colonnes de son
journal "Abaka" (1949) l'interrogation d'un anthropologue sur l'origine
du type oriental en Auvergne, en tenant compte que des Arméniens étaient
venus s'échouer à une époque inconnue dans ce petit coin. Tout ceci ne
semble pas très sérieux. Il est vrai, par contre, que des lecteurs
portant le nom de Desarméniens ou autre de "La Montagne" se sont
adressés à Mme Gayon afin de les éclairer sur leur éventuelle origine
arménienne. Rude tâche pour cette passionnée de la région des
Com-brailles, qui continue à découvrir des informations originales et
intéressantes.
Les hypothèses sur leur présence dans cette région
des Combrailles sont nombreuses et parfois contradictoires. M. Roger
Chapeyron, maire de Bussières-près-Pionsat, très attaché à ce hameau
dont l'histoire a retenu une ancienne présence d'Arméniens, donne une
version proche de celle de Mme Gayon et manifeste l'espoir que son
homologue voisin de Roche d'Agoux puisse la compléter. M. Mercier, maire
de cette commune, n'en sait pas plus. L'énigme reste entière puisque
les habitants du hameau en question ignorent tout de son histoire. Très
coopératifs, ils me montrent tous les anciens objets qu'ils conservent
jalousement. Aucun signe arménien, pas le moindre caractère de
l'alphabet arménien..
Appel aux étudiants en histoire
Propriétaires
du Moulin des Arméniens, M. et Mme Roger Chaput en ont cessé l'activité
il y a près d'un demi-siècle. Installés ici depuis plusieurs
générations, cette famille a construit, au début des années 1900, une
ferme comme on en trouve dans toute la région, ayant connu ses heures de
gloire. L'histoire du Moulin, bien qu'attachée à celle du hameau, garde
quelques secrets, mais la présence d'Arméniens jadis est pratiquement
incontestable. Au temps de sa splendeur, de mémoire d'homme, le hameau
des Arméniens a réuni cinq familles dynamiques (au début du siècle) avec
une trentaine d’enfants, qui faisaient espérer la pérennité du village.
La crise des agriculteurs en France touche également "Les Arméniens"
qui s'inquiètent de leur devenir et des 80 hectares qu'ils exploitent
aujourd'hui. Des idées émergent pour tenter de donner une nouvelle
vigueur au village, car le ton n'est pas à l'optimisme, à l'euphorie.
L'histoire du hameau des Arméniens fait partie intégrante du patrimoine
de l'Auvergne. Afin qu'elle soit reconnue comme telle et reste dans la
mémoire des hommes, seul un travail d'historien peut rendre crédible le
passé véritable de ce bourg passionnant, particulièrement curieux et
attachant.
Edouard Mardirossian,
France-Arménie, numéro 116, octobre 1992
(1) domiciliée à La Petite Marche, à quelques kilomètres de Marcillat-en-Combraille (Allier)
(2) Les archives concernant les seigneurs de Roche d'Agoux se trouvent à la Bibliothèque de Clermont-Ferrand
(3) "Les Etrangers en France" (1919) de F. Macler, citation reprise par le journal "La Montagne" du 21 janvier 1989
Mise à jour : 2018
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