Par Israël W. Charny - Président de l’Institute on the Holocaust and Genocide, Jerusalem
1.
Mettre en doute et minimiser les statistiques.
C’est
l’un des discrédits les plus importants jetés sur cette question centrale. En
prétendant que les chiffres sont exagérés ou gonflés, et que seuls quelques
centaines de milliers de gens furent tués, et non plus d’un million, ils tentent
de dévier en totalité tout le problème. Comme si quelques centaines de milliers
de morts ne constituaient pas aussi un génocide.
2.
Attaquer les motivations de ceux qui disent la vérité.
Prétendre
que les Arméniens ne sont pas dignes de foi, car ils demandent des réparations
revient à dire que des victimes n’ont pas à être entendues, car elles ne
seraient pas objectives du fait qu’elles demandent justice.
3.
Prétendre qu’il y eut des morts par inadvertance.
Elles
seraient le résultat de la famine, des migrations ou des maladies, et non d’une
volonté de tuer. Mentionner aussi que des Turcs / musulmans périrent aussi à
cette époque – sans dire qu’ils périrent sur les champs de bataille, et non
entre les mains de leur propre gouvernement.
4.
Exagérer le caractère étranger des victimes.
Les
victimes étaient des infidèles (des chrétiens), une cinquième colonne, et non de
« bons » Turcs ottomans.
5.
Expliquer les morts comme le résultat d’un conflit ethnique, arrivé
inévitablement aux victimes du fait de l’histoire de leurs relations.
L’échec.
Les Arméniens et les Turcs ne pouvaient plus partager ces terres, car les
Arméniens préféraient être indépendants que d’être des citoyens de seconde
zone.
6.
Accuser des forces « incontrôlées » d’avoir commis les massacres.
Ils
incriminent souvent ces mêmes Kurdes qu’ils ont combattu ensuite pour les
dominer.
7.
Éviter de contrarier les défenseurs de la thèse du génocide, qui pourraient
quitter le « processus de paix ».
La
Turquie refuse même d’ouvrir des relations diplomatiques avec l’Arménie, car
elle parle du génocide arménien.
8.
Justifier le négationnisme au nom des intérêts économiques actuels.
Sans
aucun doute l’arme n° 1 de la Turquie pour nier le génocide arménien. Menacer
constamment l’Occident d’annuler des contrats militaires valant plusieurs
milliards s’est révélé payant au cours des différentes législatures sur ce
sujet. En fait, il est clair que le débat sur le fait de reconnaître
officiellement le génocide à l’Ouest n’est pas de savoir s’il a eu lieu ou non –
puisqu’il a très clairement eu lieu -, mais quelles répercussions économiques ou
diplomatiques, ou représailles possibles, la Turquie menacerait de mettre à
exécution, si ces Etats reconnaissent une vérité vieille de 90 ans.
9.
Prétendre que les victimes sont bien traitées, tout en niant totalement les
accusations de génocide.
Montrer
comment quelques milliers d’Arméniens ne furent pas tués à Istanbul, afin de
démontrer que 2 millions et demi ne furent ni tués, ni déportés d’Anatolie.
10.
Prétendre que ce qui est en jeu ne correspond pas à la définition du
génocide.
Au
moment où ces lignes furent écrites (septembre 2004), l’Union Européenne, le
Secrétariat Général des Nations Unies et même Amnesty International évitaient
toujours de qualifier les crimes au Darfour par leur nom. Voici les trois
raisons de cette réticence.
a.
Un autre malentendu est la conception du génocide par le « tout ou rien ». Les
partisans de cette thèse estiment que les massacres ne constituent un génocide
que s’ils visent à détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux «
en totalité ». Leur référence est la Shoah. Ils ignorent l’expression « en
partie » figurant dans la définition de la Convention des Nations Unies sur le
génocide, qu’ils n’ont souvent pas lue.
b.
Depuis les années 1990, un nouvel obstacle pour qualifier un génocide par son
nom est la distinction opérée entre génocide et « purification ethnique », terme
inventé à l’origine comme euphémisme pour le génocide survenu dans les Balkans.
Le génocide et la « purification ethnique » sont parfois décrits comme des
crimes qui s’excluent mutuellement, or ce n’est pas le cas. Le professeur
Shabas, par exemple, précise que la « purification ethnique » vise à expulser un
groupe, alors que le « génocide » vise à la destruction de ce groupe, en
totalité ou en partie. Il illustre son propos en opérant une distinction
simpliste : dans une « purification ethnique », les frontières restent ouvertes
et un groupe est conduit à l’extérieur ; dans un « génocide », les frontières
sont fermées et un groupe est tué.
c. Prétendre que « l’intention » du
responsable est simplement une « purification ethnique », et non un « génocide
», lequel suppose une intention spécifique de détruire, en totalité ou en
partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Le rapport de la
Commission des experts des Nations Unies en 2005 éludait la question. Il
confondait le motif avec l’intention. (Ironiquement, ce même rapport comprenait
aussi un paragraphe déclarant que le motif et l’intention ne doivent pas être
confondus, recommandation que la Commission s’empressa d’enfreindre.) Même si le
motif d’un responsable est d’expulser un groupe de sa terre (« purification
ethnique »), tuer les membres de ce groupe et autres actes énumérés dans la
Convention sur le Génocide peuvent encore comporter l’intention spécifique de
détruire ce groupe en totalité ou en partie. Ce qu’est un génocide.
11.
Accuser les victimes.
La
tactique peut-être la plus odieuse de toutes. Affirmer qu’en fait ce sont les
Arméniens qui ont massacré et anéanti les Turcs.
12.
Affirmer que la paix et la réconciliation sont plus importantes qu’accuser un
peuple de génocide.
Discours
que l’on entend souvent de la part des Turcs, des officiels du gouvernement
américain et d’autres, qui n’ont clairement jamais été victimes de génocide.
Autant
dire à quelqu’un dont la mère fut violée et assassinée par son voisin de palier,
qu’il est plus important de s’accommoder avec ses voisins, chose que
n’accepteront jamais les Arméniens qui méritent et ont besoin d’excuses et de
réparations.
Ils
ont besoin que la Turquie s’excuse maintenant, non seulement à cause du
génocide, mais à cause de cette longue campagne de négationnisme et de
désinformation qui dura presque un siècle, des vexations continuelles infligées
aux Arméniens de Turquie, du blocus de l’Arménie depuis le début des années
1990, et de la guerre qui suivit le génocide et s’empara d’autres territoires
arméniens.
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